PORTRAITS, l'humain derrière la machine

02.09.2024

Aujourd'hui

Par Anne-Sylvie Weinmann, avocate et data scientist.


Des pionniers et des pionnières inspirants

Le 31 août 2024 a eu lieu le vernissage de la nouvelle exposition temporaire du Musée Bolo « J’♥️ mon SMAKY », ouverte au public le 2 septembre. L’occasion de dire quelques mots sur les portraits de pionniers et pionnières (dont certains nous ont fait le plaisir de leur présence) de la micro-informatique en Suisse romande, et au-delà, ainsi que de l’extraordinaire aventure SMAKY. Nous vous proposons ces portraits sur nos deux sites web: smaky.ch et sur la page Mémoires vives du site général du Musée Bolo.

Le texte illustré de cette présentation se trouve ci-dessous. N’hésitez pas à explorer ensuite nos sites web, et à prolonger cette découverte par une visite guidée de l’exposition.


Quelques mots partagés

Chères toutes et tous,

C’est une immense joie de vous accueillir aujourd’hui pour cette étape festive du projet « J’♥️ mon SMAKY ».

Après de longs mois de travail, ce moment que nous passons ensemble initie une période réjouissante de partage avec le grand public.

En effet, dès lundi les visiteurs pourront découvrir la nouvelle exposition « J’♥️ mon SMAKY ». Nous espérons bien sûr les voir nombreux lors de la prochaine Nuit des Musées qui se tiendra le samedi 21 septembre, et lors de visites guidées très prisées tant l’informatique a conquis notre quotidien.

La conservation d’objets, parfois uniques, et la numérisation d’archives cachés dans nos quelques 1000 m2 de réserve sont des tâches qui font évidemment partie de la mission du musée, mais le partage avec le grand public nourrit de manière privilégiée la motivation des bénévoles du Musée Bolo.

Le partage de quelques trésors de notre vaste collection, les faire découvrir aux visiteurs. De même que le partage d’explications techniques, de récits et d’anecdotes qui font quitter à ces objets que nous présentons leur état de choses inertes pour en révéler l’ingéniosité et en faire une source d’émerveillement. Ou encore, le partage de quelques pages de la vie des pionniers et pionnières, qui ont écrit l’histoire très riche et variée de la micro-informatique en Suisse, et ont fait rayonner notre petit pays au-delà de ses frontières.

Ces pionniers et pionnières, des hommes (essentiellement), des femmes (rarissimes) sont souvent méconnus, voire inconnus du grand public. Une erreur que nous nous efforçons de corriger!

Car il nous paraît fondamental de mettre au jour l’humain derrière la machine pour partager une histoire de l’informatique, de la culture numérique et du jeu vidéo aussi vivante que possible, cela aussi bien dans notre exposition que sur nos deux sites web, car l’univers Bolo ne se limite de loin pas à ses exigües frontières physiques!

A l’encre de l’informatique

Cela m’amène à vous parler d’un aspect de ce partage avec le grand public qui me tient particulièrement à cœur:  ce sont les portraits des pionniers et pionnières qui ont écrits de très belles pages de l’histoire de l’informatique en Suisse romande et au-delà. Certaines de leurs innovations et réalisations sont entrées dans notre quotidien par la petite porte, mais leur descendants s’y sont confortablement et largement installés: la souris, par exemple!

Vous pouvez trouver ces portraits à deux endroits.

Premièrement, dans une toute nouvelle rubrique du site smaky.ch qui a été rafraîchi début 2024. Ce site est en expansion puisqu’il est enrichi régulièrement de nouvelles rubriques, textes, photos et vidéos, archives.

Deuxièmement, vous trouverez également des portraits sur la page Mémoires vives de notre site général. Le style rédactionnel de Mémoire vives est délibérément plus libre que celui de smaky.ch. Le but est d’inviter un public aussi large que possible à plonger dans l’histoire de l’informatique et comprendre un peu les briques sur lesquelles notre monde numérique est bâti.

Il y a bien entendu de nombreux liens hypertextes entre les deux sites qui permettent une navigation fluide et facile.

Nouveauté! Ces portraits et les sites web sont désormais accessibles pendant votre visite de l’exposition grâce à des QR codes qui vous redirigent directement vers la page topique et des informations complémentaires. Le Musée Bolo physique et sa dimension numérique sont ainsi reliés pour offrir aux visiteurs une expérience aussi enrichissante que possible.

Ces galeries de portraits vont bien entendu s’enrichir encore de nouveaux venus. Je peux d’ores et déjà vous dire que les amateurs et amatrices de semi-conducteurs et de puces géantes dédiées à l’intelligence artificielle (IA) et au High Performance Computing (HPC) peuvent se réjouir. Je n’en dirai pas plus, mais trois indices se trouvent déjà dans la salle d’exposition.

Ces portraits sont basés sur des interviews, des questionnaires, des présentations et également des archives. Nous remercions chaleureusement toutes ces personnes qui ont généreusement accepté de partager un peu d’elles-mêmes. Ces partages sont précieux et d’une immense richesse parce qu’ils éclairent l’histoire de l’informatique dans ses multiples facettes, grâce à ceux-là même qui ont contribué l’écrire.


Les facettes de l’histoire de l’informatique sont innombrables!

Laissez-moi vous en partager quelques-unes que les pionniers et pionnières m’ont glissées à l’oreille à travers leurs portraits:

L’histoire de l’informatique, c’est de la technique…

J’ai adoré plonger avec André Guignard dans les entrailles de la souris hémisphérique, l’écouter expliquer le fonctionnement de cette mécanique conçue à la main avec la maestria de l’horloger qui en 1979 à l’EPFL a fabriqué lui-même le matériel dont il avait besoin, pour permettre de pointer avec la main sur un écran d’ordinateur.

Qui devine qui se reflète dans la bille de la souris? Jean-Daniel Nicoud.

© LAMI

Bloc mécanique transparent en plexiglas d’une des 50 premières souris hémisphériques rouges conçues et fabriquées par André Guignard. Capteurs optiques faits avec des films photo. Et, surprise! Jean-Daniel Nicoud qui prend la photo se reflète dans la bille métallique (roulement à bille de locomotive) | © LAMI

L’histoire de l’informatique, ce sont des possibles qui s’ouvrent, des rêves qui se réalisent, au gré de l’évolution des composants et de la technologie à disposition…

La vie d’inventions de Jean-Daniel Nicoud en est une bonne illustration: d’abord, une vocation née de mille transistors en germanium – le silicium n’avait pas encore gagner la bataille – reçus en 1966 d’Ebauches SA pour des loisirs d’électronique organisés les mercredis au collège de l’Elysée où il enseigne, et ensuite le SMAKY – SMart KeYboard – dès 1974 à l’EPFL, une famille de micro-ordinateurs rendue possible par l’avènement du microprocesseur. Le SMAKY 2 (1975) concrétise le rêve de Jean-Daniel Nicoud de transporter son ordinateur dans sa mallette.

Jean-Daniel Nicoud aux 50 ans de l’EPFL (2019)

Jean-Daniel Nicoud et un SMAKY 8 (1982) aux 50 ans de l’EPFL (2019)

L’histoire de l’informatique, c’est de la technique qui transforme nos sociétés et nos pratiques…

En 1974, Marielle Stamm, future pionnière du journalisme en informatique, alors qu’elle débutait comme correspondante pour la Suisse du journal français 01 Informatique rédigeait ses premiers articles sur une machine à écrire qu’elle rangeait le soir sous son lit.

Plume, stylo, machine à écrire mécanique, machine à boule IBM, machine à traitement de textes, micro-ordinateur; les moyens d’écriture ont évolué drastiquement. Marielle Stamm a été l’observatrice privilégiée, et la victime consentante de ces changements.

Elle a fondé, dirigé et a été la rédactrice en chef du journal puis magazine Informatique & Bureautique. Elle raconte qu’un jour de 1987, une journaliste arrive à un rendez-vous d’embauche avec un Macintosh, et lui remet son article test sur une disquette. Oups! Marielle Stamm n’a rien pour la lire. Elle avoue en riant: « Pour une journaliste en informatique, je n’étais pas très en avance! » Après cela elle a équipé la salle de rédaction de micro-ordinateurs, ce qui va déclencher des changements en cascade. Notamment dans la manière de fabriquer un journal. Sujet toujours actuel!

Marielle Stamm

2013, confortablement installée (sur un vieux micro-ordinateur!) Marielle Stamm relit quelques anciens articles, parmi les 225 journaux ou magazines qu’elle a publiés, et plus de quatre mille articles écrits | © Musée Bolo

L’histoire de l’informatique, c’est de la technique qui révèle nos sociétés…

Je ne vous parlerai pas des biais de l’intelligence artificielle, mais encore du portrait de Marielle Stamm qui incarne les combats et l’émancipation des femmes à travers une femme déterminée (née en 1935 – elle nous a autorisé à donner son année de naissance – avec les carcans que lui imposait son époque) qui a forgé son propre métier parce qu’elle voulait divorcer, gagner son pain quotidien et celui de ses enfants. Elle a réussi, et en plus elle a sorti l’informatique d’un cercle limité de spécialistes pour la vulgariser et l’amener jusque dans nos boîtes aux lettres.

Vous pourrez découvrir dans l’exposition « J’♥️ mon SMAKY » quelques éléments qui illustre le magnifique parcours de Marielle Stamm.

Marielle Stamm sur le stand de 01 Informatique lors de Computer 78. Pas loin de six mille visiteurs ont fait le déplacement jusqu’au Palais de Beaulieu à Lausanne pour cette première grande exposition informatique romande réunissant une cinquantaine d’exposants | © Marielle Stamm

L’histoire de l’informatique, c’est de la transmission, de la collaboration, de la confiance, de la liberté de créer, d’innover…

Le portrait de Pierre Arnaud, l’auteur de mégaoctets de lignes de code qui ont animé les SMAKY, montre l’incroyable esprit d’initiative que le couple Cathi et Jean-Daniel Nicoud a su cultiver, elle chez Epsitec, lui à l’EPFL, permettant à ceux qui les ont côtoyés et ont participé à l’aventure du SMAKY de faire fleurir leur potentiel. « Rien ne nous paraissait impossible: la seule borne était notre imagination », souligne Pierre Arnaud, qui a succédé en 2008 à Cathi Nicoud à la tête d’Epsitec.

Pierre Arnaud ne voyait pas de limites à sa créativité, toujours encouragé par Mme Nicoud, même dans des entreprises totalement irréalistes. Certaines ont cependant abouti: la réalisation d’une carte PCI avec 68040 et 68360, afin de faire tourner les logiciels SMAKY sous Windows NT (le SMAKY 400) et l’écriture d’un émulateur logiciel du SMAKY 400 – le SMAKY Infini – sur la base de l’émulateur de CPU écrit par Bernd Schmidt (tiré de l’émulateur Amiga UAE, aujourd’hui sous GitHub).

L’histoire de l’informatique, c’est de l’art…

Daniel Roux, illustrateur, graphiste, concepteur de jeux vidéo, et programmeur aux talents multiples et à l’univers coloré et généreux, pionnier romand du Pixel Art, s’amuse que son Blupi, la mascotte omniprésente de l’univers SMAKY, aux contours en escalier à ses débuts, suscite aujourd’hui tant d’intérêt dans un courant nommé Pixel Art. Il rêvait Blupi d’une meilleure résolution, en 3D, ce que la technologie de l’époque de permettait pas encore. Ici, une image du jeu vidéo Blupimania (1994). En 2024, Blupi is Back! Daniel Roux, jeune retraité a sorti Blupi de sa retraite pour le plus grand plaisir des gamers et des visiteurs de l’exposition « J’♥️ mon SMAKY ».

« Je me souviens que la première fois que ces images se sont animées sur l’écran du SMAKY, et que j’ai vu Blupi marcher, j’ai eu l’impression qu’il prenait vie. Ça a été un grand moment! Pour faire un jeu, évidemment Blupi ne fait pas que marcher, il fallait réaliser plusieurs centaines de ces images », se souvient Daniel Roux.

L’histoire de l’informatique, ce sont des hommes et des femmes inspirants…

Non seulement dans ce qu’ils ont réalisés mais également, par certains aspects contagieux de leur personnalité: la passion, la persévérance, l’ingéniosité, la curiosité, la capacité à repousser les limites, autant de qualités que possédait en abondance…

De qui puis-je bien parlé?
Quelqu’un a une idée?

Nous vous avons réservé une surprise! Depuis quelques heures, la première partie du portrait de RENE SOMMER – L’homme qui chuchotait à l’oreille des souris est en ligne sur smaky.ch.

En 1967, adolescent passionné d’électronique, René Sommer montait un orgue en kit. Il rencontre Jean-Daniel Nicoud et découvre l’électronique logique. Le début d’une longue amitié et fructueuse collaboration. Il réalise en 1968 une machine étonnante qui joue au jeu de Nim: le NIMMER, contraction de Nim et Sommer. Un des premiers jeux électroniques de Suisse. René Sommer présente le NIMMER au concours « La Science appelle les jeunes » de 1969. Il n’a que 17 ans et reçoit le deuxième prix ex aequo. A la clé, mille francs et un voyage aux États-Unis avec la possibilité de présenter le NIMMER au concours « International Science Fair ». Le NIMMER a rejoint l’exposition « J’♥️ mon SMAKY ».

Vous trouverez dans le portrait un documentaire d’époque dans lequel il présente sa machine, et joue une partie de Nim. Sommer contre NIMMER. Je garde le suspens de qui a gagné…

Dès 1976, assistant à l’EPFL au Laboratoire de Micro-informatique (LAMI) dirigé par Jean-Daniel Nicoud, il met en réseau les SMAKY 4. Une réalisation avant-gardiste et une idée incroyablement moderne!

Le NIMMER, « c’est une calculatrice spécialisée pour un jeu. (…) Elle fait des additions, des comparaisons, mais on ne les voit pas, on voit seulement le jeu qui se modifie », expliquait le tout jeune René Sommer en 1969.

Dans la seconde partie de son portrait, et dans l’exposition dès aujourd’hui, vous pourrez découvrir le rôle fondamental que René Sommer a joué dans l’histoire de la souris. On lui doit la numéro 1 des souris intelligentes. En 1982, il intègre un microcontrôleur dans la souris hémisphérique de son collègue André Guignard. La souris est devenue intelligente! Optimisée pour économiser de l’énergie, cette souris, dénommée R4, donnera la Logimouse C7, première souris compétitive et intelligente en nom propre de Logitech. En décembre 1985, elle permet à la société vaudoise de partir à la conquête du marché de détail. Ceci n’est qu’un exemple parmi une longue liste d’innovations réalisées par René Sommer qui fut l’ingénieur pionnier de l’ombre du succès de Logitech.

Exemplaire de la souris R4 remise le 11 novembre 1982 par René Sommer à Daniel Borel, co-fondateur de Logitech (1981). Alimentée par l’interface RS-232 il n’y avait pas de pile à l’intérieur de la souris R4, sauf la pile d’horloge qui servait uniquement à maintenir l’heure et la date lorsque l’ordinateur était éteint. Swiss clock! une horloge suisse dans une souris suisse | © Musée Bolo

Et enfin, l’histoire de l’informatique, c’est l’occasion…

D’ouvrir son univers, de s’enrichir, de faire un saut dans le passé de notre présent, et de notre futur, de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons et les enjeux engagés, de bâtir des ponts entre les personnes avec une formation technique et les autres.

L’histoire de l’informatique vous l’avez compris est à consommer à tout âge et sans modération!

Je vous remercie pour votre attention.


Pour aller plus loin

Promenez-vous dans nos galeries de portraits sur smaky.ch et Mémoires vives.

N’hésitez pas à réserver une visite guidée de l’exposition « J’♥️ mon SMAKY », en un clic de souris.